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L'année 2010 a vu, de façon inattendue, évoluer le « dialogue littéraire » entre Pierre Jourde et nous, puisque nous sommes passés, en quelques mois, de l'invective à l’échange qui suit, qu’on a pu lire, vers la fin 2010, sur un site dédié à la littérature.

Nous reproduisons ici une partie du fil des commentaires de son article qu’on pourra lire ici : http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20101029/22161/de-la-boxe

 

Par  R.C. Vaudey

02H21 30/10/2010

 

Terriblement sensualiste.

Monsieur,

Terriblement sensualiste, telle est la première réflexion qui m'est venue à la lecture de votre texte, et particulièrement de sa dernière partie. (Ce qui n'étonnera que ceux qui ignorent ce que nous entendons par ce mot.)

Nous avions découvert votre blog, cet été, parce que vous y aviez fait, il y a quelque temps de cela, une méchante allusion au Manifeste sensualiste, et que cela nous était, par Google, revenu.

Des sensualistes sont venus, ici même, régler ce différend : n'en parlons plus.

Aujourd'hui c'est au Grand Mamamouchi Sensualiste en personne – puisque c'est ainsi que vous aimez à me moquer – que vous avez droit.

 

Je vous avais pris pour un vrai butor (vous vous qualifiez vous-même de bourrin…) et je l'avais écrit. Je découvre que vous êtes un homme sensible à la seule chose qui m'intéresse : la grâce.

Et un des rares qui ose en parler.

Je me propose donc de vous faire ce texte pour développer cette question de la grâce que vous envisagez dans la dernière partie du vôtre.

Il n'appellera pas nécessairement de réponse de votre part.

Puisque je devrai parler beaucoup des thèses sensualistes, je comprendrais parfaitement que vous le retiriez du fil des commentaires, bien que je pense que vous ne le ferez pas puisque vous avez eu l'élégance de maintenir, cet été, les « posts », plutôt polémiques, des sensualistes qui voulaient ne pas laisser sans réponse ce que nous considérions comme des propos insultants.

 

Je ne me propose pas de vous insulter ni de vous rabaisser de quelque façon que ce soit : le monde me paraît assez plein – et particulièrement le monde virtuel – de combats de coqs, de déversements de fiel qu’un certain public semble appeler de ses vœux. Et puis, nous pourrons toujours y revenir à une prochaine occasion.

Afin de rester concentré sur le point qui nous intéresse, j'essaierai également d'éviter les travers qui sont les miens : l'immodestie, les propos alambiqués ou volontairement obscurs, les attaques frontales contre les uns et les autres.

Je vous l’ai dit, vous avez touché à la seule question qui m'intéresse.

J'aurais pu réagir ailleurs. Je le fais, ici, pour enrichir, ou tout au moins développer, votre propos. Dans le tempo.

Cela peut paraître inhabituel, entre auteurs, et particulièrement entre auteurs qui semblent se manifester leur mépris réciproque par publications interposées : les habitudes du milieu littéraire m'indiffèrent.

Je trouve intéressante votre tentative de définition de la grâce : « ce moment où la pensée cesse de vouloir le geste mais devient le geste même » quoique je trouve le terme de « pensée » peut-être inapproprié : dans la spontanéité du geste, dans l'enchaînement plus ou moins lent, plus ou moins violent des mouvements, que devient vraiment la « pensée » ?

Le moment de grâce, ce que j'appelle « le coup de grâce », à mon sens, marque tout à la fois le moment du dépassement et de l'accomplissement d'un individu. Sa plus belle et sa plus intense vérité. Mais aussi une sorte de silence de la pensée et de l’intentionnalité.

Vous l'envisagez, dans votre texte, uniquement dans la forme de l'opposition, du combat. J'y suis sensible. Tout l'art des budo repose essentiellement sur le mouvement dans la grâce, et tous lui accordent une importance extrême, tout à fait centrale (beaucoup plus que ne le font les arts de combat européens où très peu de gens y font référence, ou seulement de façon anecdotique).

De l'art du sabre au aïkido en passant, bien sûr, par le tir à l'arc, le pratiquant (enfin celui qui y a déjà goûté...) recherche uniquement ce moment suprême où il s'oublie dans la perfection jouée du geste. C'est-à-dire, comme vous le soulignez justement, dans la beauté. C'est ce même moment de la grâce (qui est le vrai but) qui voit aussi naître le poème, la calligraphie.

Face aux outrances mercantiles et nihilistes de l'art contemporain, j'ai d'ailleurs écrit qu'il ne pouvait y avoir dorénavant plus qu'un seul art, sensualiste, et je n'ai pas trouvé qu'il pourrait se nourrir ailleurs ni d'autre chose que de ce « coup de grâce » dont nous parlons. C'est, en tous les cas, ce qui nourrit mon oeuvre peint.

Vous dites le retrouver dans l'écriture de vos romans. N'étant pas romancier et ne comptant pas parmi vos lecteurs, je ne saurais en juger. Je vous crois. Pour ma part, je l'expérimente dans le saisissement poétique et dans son expression : le poème, donc. L'essai ou le pamphlet s'en nourrissent, évidemment, mais il me semble d'une autre façon, qui me paraît moins intense.

 

Sensible comme vous semblez l'être à cette question de la grâce, je m'étonne maintenant que vous n'ayez pas compris à la lecture du Manifeste sensualiste qu'il s'agissait, il me semble, du seul et du premier ouvrage où l'auteur envisageait cette question de la grâce non plus dans l'opposition mais au contraire dans l'accord, non plus dans le combat mais dans l'épousement. Des sexes opposés. Qui ouvre si bien à la jouissance du Temps.

 

La boxe n’est pas le lynchage : En opposition à l'école sadienne qui triomphe partout, qui se manifeste aussi bien dans l'économisme casinotier effréné que dans la pornographie, en volonté de prédation, de destruction, d'annihilement, en opposition donc à ce que j'ai nommé « l'injouissance destructrice » (l'injouissance étant pour moi l'incapacité d'un individu à l’expérience pratique de la grâce), j'ai rapporté, en Antésade, en quelque sorte, une aventure à la recherche de la jouissance poétique de l'abandon aux mouvements des grâces corporelles et sentimentales partagées, dans l'amour accordé.

 

Qui a dit que les humains étaient condamnés à se sentir suprêmement vivants, élégants, aisés, uniquement en échangeant soit, comme vous le dites, des bourre-pifs, soit des invectives, ou en évitant des coups de sabre ? Entre hommes.

Ou seul, sur une planche de surf.

Et pourquoi seraient-ils condamnés à devoir toujours ignorer cette sensation de la grâce là où il semblerait plutôt naturel de la trouver, c'est-à-dire dans l'accord des puissances et des délicatesses réciproques et partagées, dans l'amour électif. Et dans l'extase harmonique.

J'ai noté dans un des numéros de notre revue que, pour ce qui est de la possibilité de la grâce expérimentée en comme-un, entre sexes opposés, on l'admettait tout de même dans le chant lyrique, dans le duo, où l'on accepte, généralement, que quelque chose de l'ordre de la grâce et de l’apothéose, justement, s'élève entre un ténor et une cantatrice, qui les dépasse et les manifeste tout à la fois, tels qu'ils sont réellement, c'est-à-dire sublimes.

La misère sexuelle, et plus généralement la misère existentielle, pour nous, c'est là qu'elle se tient : dans l'incapacité dans laquelle se trouvent les humains, de par la vie qui leur est faite et qu'ils se font, d'expérimenter « toutes leurs extases et toute leur poésie ». Ce qu'ils peuvent avoir, individuellement, personnellement, singulièrement, de gracieux et de sublime. (Ce qui ne tracasse d'ailleurs ni les dominés ni les dominants, qui, en parfait représentants de la société de l'injouissance pensent plutôt en termes de taille du gâteau, et taille des parts du gâteau.)

De sorte que, plutôt que d'apprendre à chanter, ils préfèrent, tout au plus, brailler, en cœur, comme des ivrognes ; plutôt que d'apprendre l'art du combat, ils préfèrent le lynchage, en meute ; et plutôt que de rechercher l'extase orgastique, ils préfèrent la mêlée orgiastique. C'est-à-dire, dans tous les cas, l'indifférencié, la négation de l'unique, du singulier.

 

Sensualiste a donc deux significations : Pour finir, vous remarquerez comme moi que partout où se glisse la grâce se glisse aussi la gentilhommerie : le dernier des vauriens qui pratique le « noble » art devient un gentleman (de fortune, évidemment).

Et, s'il dépasse sa sauvagerie et sa rage spontanées et fait l'expérience de la grâce dont vous parlez, il devient, à mes yeux, un sensualiste (qui bien sûr s’ignore) c'est-à-dire quelqu'un qui par l'aisance qu'il expérimente, par ses sens, par sa « grande santé », donne le sens du monde. Le justifie.

Ainsi, il ne lui manque rien et il sait tout ce qu'il doit savoir. Tout ce qu'un homme peut savoir. Tout le reste, hors l'expérience de l'amour dont je parlais plus haut – qui est un autre art, l’art suprême, l’art à venir – n'étant que du baratin, du vent pour attraper les buses, puisque, ainsi que l'a écrit l'oncle d’Arthur Cravan, lui-même poète et boxeur, (que j'améliore ici quelque peu) : « Si un homme est un gentleman de fortune et un sensualiste, il en sait toujours assez long, et s'il ne l'est pas, il peut bien savoir tout ce qu'il veut, cela ne peut que lui nuire. »

   

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 Par  R.C. Vaudey

10H48 30/10/2010

Précisions.

Bien sûr, il fallait lire "parfaits représentants" et "brailler en choeur" dans mon précédent post.  

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Par  Stéphane S. (Universitaire)

17H12 01/11/2010

Je pense que vous avez raison et qu'effectivement, tout le monde s'en fout.

Un peu de commisération, cependant : non seulement ce monsieur subit tout comme nous ce qu'il écrit, mais il revient le lendemain pour le relire.

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Par  Pierre Jourde (Écrivain)

14H15 02/11/2010

 

Je tiens à saluer ici l'élégance morale et intellectuelle de R.C. Vaudey qui se montre capable d'oublier un différent exprimé en termes, disons, assez vifs, pour discuter honnêtement le contenu d'une chronique. La chose est assez rare. Par ailleurs, sa riche contribution est pleine d'intérêt, et j'en retiendrai surtout ce qui est dit sur le chant, et sur l'opposition entre "noble art" et "école sadienne".

Autre contribution nourrissante, mais cela devient habituel, celle de Pierre V. S'il ne faisait que susciter de telles commentaires, ce blog aurait sa raison d'être. Mais je ne partage pas la qualification de "mystique" pour la grâce et l'inspiration. Rien là de mystique. Il ne s'agit à mes yeux que d'un certain état mental et physique à la fois, tel que je tente de le décrire : l'idée n'y est pas séparée du faire, la conception de l'accomplissement en cours. Un calligraphe chinois n'est pas exactement un mystique mais il cherche cela, le geste parfait qui est tout à la fois, et indissolublement, esprit, esprit tout entier fondu dans le geste. Là encore, il faut beaucoup de pratique pour cela.

 

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Par  Pierre Jourde (Écrivain)

14H17 02/11/2010

 

de "tels commentaires", bien sûr, et non "telles", horreur.

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Par  R.C. Vaudey

18H31 03/11/2010

 

 

À Pierre Jourde.

 

Monsieur

 

( C’est une très (trop) longue contribution. Je m’en excuse par avance.)

J'imagine que vous avez dû être légèrement surpris à la lecture de ma première contribution à votre débat, et que vous y avez, peut-être, cherché l'ombre d'un piège. Il n'y en avait pas.

De la même façon, vous comprendrez que je sois surpris, à mon tour, par votre commentaire, et que je tente d'y déceler, moi aussi, quelque chausse-trappe.

Je vais agir ainsi que vous l'avez fait, en vous supposant (ce que je crois au fond) de bonne foi.

Puisque nous en sommes aux amabilités, vous comprendrez que, tout en ne pouvant que vous reconnaître de l’élévation de caractère à accepter le débat avec quelqu'un qui vous a traité aussi durement que je l'ai fait, nous ne puissions guère plus avancer dans cette voie.

La façon dont se terminait votre critique, à l'époque (je n'ai pas lu les nouvelles versions), laissait penser que je n'existais pas et qu'une ou deux autres personnes se cachaient derrière mon nom.

Cela m'avait mis dans l'humeur que vous avez lue mais cela n'a en rien, et ce n'était pas votre but non plus, bouleversé ma vie.

Au fond, vous avez parlé du Manifeste sensualiste, pour vous en gausser comme c'est le droit de tout critique, quand beaucoup se sont tus.

Mais cette violence qui n'était que littéraire dans mon cas, a été – et reste, j'imagine – trop violente (comme elle l’est peut-être pour vous) pour l'existence réelle de quelques rares personnes qui m'ont soutenu à cette époque dans le milieu littéraire – alors que j'étais, et que je suis, un parfait irrégulier – pour que nous puissions aller beaucoup plus loin dans des effusions qui ne semblent, de toute façon, pas être votre genre. Et qui ne sont pas le mien, non plus.

(Je pense bien entendu à Mme Savigneau qui ne m'a jamais rencontré mais qui avait écrit un papier plutôt primesautier (j'entends déjà les commentaires...) sur mon livre. Pour Philippe Sollers, dont je sais, bien sûr – j’étais, déjà à 19 ans, un farouche debordiste – tout le mal qu’il faut en penser mais sans lequel mon beau génie serait entièrement méconnu, il est quant à lui parfaitement et vraisemblablement insensible à toutes formes d'attaques. Un homme qui sait se recueillir peut tout supporter du monde.

Vous me permettrez ainsi (après ces préambules qui doivent ennuyer vos lecteurs mais que certains comprendront) de garder une certaine réserve, tout en continuant, si vous le voulez, à alimenter cette discussion qui me paraît particulièrement intéressante.

J'aimerais apporter quelques précisions à votre propos, qui, dans ce que vous écriviez à Pierre V, me laisse penser que nous sommes parfaitement d'accord sur beaucoup de points, et, peut-être, vous faire une ou deux suggestions dont vous ferez bien entendu ce qu'il vous plaira.

 

J’aimerais encore – quoique vous l'ayez déjà aimablement fait en partie en simulant ce « quelles » afin de pouvoir y apporter, vous aussi, une correction – nettoyer encore un peu la table autour de laquelle nous discutons maintenant.

 

Je voudrais dire tout d'abord que je ne trouve pas bon que des universitaires, qui sont censés éduquer les jeunes générations, se permettent, tels de mauvais enfants, de cracher sur les passants, considérables ou pas, sous prétexte qu'ils s'ennuient ou qu'ils croient qu'on ne les prendra pas.

Que pourront-ils dire lorsque de jeunes étudiants sensualistes (s’il y en a), et que je n'approuverai pas, viendront perturber leur cours ou leur jeter des tomates, comme le faisaient avant eux d’autres jeunes idéalistes qui se réclamaient de tel ou tel ?

De quoi pourront-ils se plaindre, le jour où une bande de jeunes gens désœuvrés s'amusera à les tabasser, plus ou moins à mort, au simple prétexte qu'ils passaient par là, que c'était facile et qu'ils croyaient qu'on ne les prendrait pas ?

Suis-je chez eux ? Ai-je seulement photographié leur lampadaire ? Même pas ! Mais ils se lâchent tout de même (et « lâches tout de même » leur va bien). Eh bien, Messieurs, tenez-vous !

Je dis que si l'on croit un commentaire ennuyeux, il suffit de ne pas le lire et qu'il ne sert à rien de faire dans la dénégation fielleuse en prétendant que l'on s’en fout, mais avec commisération.

Lorsque l'on se fout d’un commentaire, on ne prend pas le temps de taper son nom, son adresse e-mail et son code secret, et de l'écrire.

Et si l'on prétend le contraire, on pratique la dénégation pour le plaisir d’occuper l’espace, et on ne peut pas penser que les lecteurs de ce blog ne savent pas reconnaître la dénégation. Sauf à vouloir prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.

Quant au plaisir de faire le mal pour le plaisir de faire le malin, d'être fielleux pour le plaisir d’être fielleux, cette tendance sadienne dont je parlais plus haut, qui se débonde tout à fait dans notre époque, je viens de dire tout ce que l'on peut en craindre ou en attendre. Puisque nous le voyons tous les jours.

Il convient donc que des hommes faits ne s'adonnent pas à ces plaisirs mauvais, au moins en public (il est aujourd'hui assez d’autres lieux pour cela), mais plutôt qu'ils donnent l'exemple de la retenue. Il convient également que, lorsque leur violence doit s'exercer, ils l’exercent avec art, et qu’elle soit justifiée : c'est ce que nous essayons de faire ici avec P. Jourde.

Enfin, il convient de montrer, également, qu'il n'y a pas de haine, aussi justifiée soit-elle par ailleurs, qui ne puisse être dépassée lorsqu'il s'agit de mettre en avant le peu de beauté que l'on peut apercevoir encore dans ce monde dévasté. Et cela, afin que cette beauté s’y développe. J'ai dit, ailleurs, qu'à mon sens, c'est le seul jeu qui, perdu ou gagné d'avance, peu importe, vaut, pour un gentleman, la peine d'être joué.

 

Revenons donc à la beauté.

 

Pour développer ce que disait Pierre Jourde dans sa dernière intervention il me semble qu'il faudrait préciser que toutes les combinaisons qui se forment heureusement, de façon spontanée en quelque sorte, et qui nous donnent cette impression qu'une grâce subitement, physiquement ou intellectuellement, nous possède et nous permet de réaliser, sans même y penser, telle ou telle action, telle ou telle œuvre, ne se valent pas.

Et que, par exemple, l'idée de génie d’un tortionnaire couchant sur le papier, tout en se sentant habité par une inspiration sublime et le dépassant, des projets monstrueux, ou, plus simplement, un bon mot assassin « qui nous vient » dans l'exaltation, alcoolisée ou non, ne peuvent se comparer à ce qui se produit dans la non-intentionnalité, justement parce que l'époque que nous vivons, selon moi, doit dépasser cette veine sadienne, nihiliste, destructrice et autodestructrice, qu’elle accomplit, qui l’a défait, et nous et le monde avec.

Reconnaissons à la grâce qu'elle est un apogée et une forme d'apothéose. Reconnaissons qu’elle est pour nous, dans ses manifestations les plus intenses, l'expérience et le moment vécu du sublime, et qu'elle nous est toujours « offerte. »

Qu'on la considère, de façon pragmatique, et un peu mécaniste à mon sens, comme la simple combinaison du fonctionnement parfait de nos muscles, de nos organes, de notre cerveau et du monde qui nous contient à un instant précis, importe finalement assez peu, et je pense que personne ici ne sous-entendait une forme ou une autre d'inspiration divine, ni même, pour le dire autrement, une intervention de la Providence que Hegel, qui l’appelait l'Esprit du Monde, voyait sous la forme d'un fier Corse (ne le sont-ils pas tous ?), à cheval, à Iéna.

Il me semble que nous parlions tous de la grâce de l'immanence.

Ce qui ne nous empêchait pas de nous en émerveiller ; divinement.

Cette grâce de l'immanence, elle s'associe, et P. Jourde l'a spontanément noté, à l'impression du merveilleux, du sublime et de la beauté. Il y a, peut-être, des natures qui sont absolument insensibles à ces sentiments. Pourquoi pas ?

 

On peut se demander en quoi consiste ce dépassement de la veine sadienne dont je parlais, de ce nihilisme, de cette rage annihilatrice, dans la gestion des affaires du monde, dans l'amour ou dans le combat. J'ai parlé dans un numéro de notre revue (dont on peut lire en ligne, si on a le « Flash player » tout à fait approprié à notre discussion, l’extrait en question) de « principe de délicatesse et de noblesse ». http://www.avantgardesensualiste.com/edito4-1.htm

Dans cet esprit, le but supérieur du combat serait non pas d'anéantir l’adversaire, mais d'inspirer le sentiment de l'inutilité du combat : par le respect ; car il s'agit, dans cet esprit, non pas de vaincre mais d’élever. De sauver et d’ennoblir l'autre, donc le monde, et nous avec, dans le même temps ; et non de détruire.

De faire, avec l’autre, l'expérience d’une forme de présence supérieure au monde et à soi-même.

C'est le dépassement de la voie sadienne.

On pourrait trouver des exemples de cette forme particulière de la recherche de l’harmonie dans l’histoire du chant ou de la musique où des personnalités puissantes peuvent d’abord s’affronter, et ensuite se couler et se dépasser dans le rythme et dans le mouvement.

Dans les arts japonais du combat, on sait qu’un maître de l’art du sabre ayant entendu parler de Ueshiba, le fondateur de l’aïkido, lui rendit visite, voulant éprouver son art. Ueshiba lui demanda de l'attaquer avec son sabre. Après avoir frappé longtemps dans le vide sans jamais pouvoir l’atteindre, le maître d’armes finit par lui demander de l'accepter comme élève.

Sans connaître beaucoup la boxe, il me semble que quelqu'un comme Cassius Clay aurait pu dominer un adversaire sans le détruire. « Décourager » sa rage tout en l'amenant à reconnaître, et à connaître, une forme supérieure de la boxe. Si ce n’est qu'à la fin, il me semble, il en faisait trop dans la provocation, et il gâchait sa grâce.

Pour m'amuser, j'ai relu le Manifeste. À la maintenant célèbre page 99, si on excepte les premières lignes, on peut parfaitement transformer ce que j'ai dit de l'amour, en parlant de la danse, du chant, de la calligraphie. Pour la boxe cela donnerait cela : « La boxe cessera d'être cet exutoire de misères, ce défoulement d'angoisse, de haine et de rage, ravalées ailleurs, de ce vide humain qu'elles créent. Débarrassé de sa souffrance refoulée, le manque d'amour, le manque de respect enfin exprimés, l'inconscient enfin libéré, la conscience enfin profondément ramifiée, éclairée, le boxeur pourra transformer son art en un art courtois, raffiné etc. »

« Le boxeur est beau, primitif avec élégance et avec cœur c'est un dieu (on peut dire d’ailleurs d’un boxeur : il boxe comme un dieu). »

Je n'irai pas cependant jusqu'à dire que la boxe est une histoire d'amour.

Des deux suggestions que je pourrais faire à Pierre Jourde, et puisqu'il aime écrire des romans dans lesquels il semble cependant que certains lui reprochent de peindre et de reproduire plutôt la misère et la difficulté de vivre qu’autre chose, la première serait celle-ci : puisqu'il connaît le monde de la boxe, et qu'il doit bien pouvoir y trouver des exemples de cela, il pourrait nous montrer, dans un roman, comment un individu, même très défavorisé au départ, peut, grâce à l'exemple de ses maîtres, par les voyages qu'il peut faire et les gens qu'il est amené à rencontrer par la boxe etc. dépasser en partie sa haine et sa rage, comprendre, en partie, ce qui le motive inconsciemment, et comment, la conscience enfin, en partie, libérée, éclairée, il peut faire cette expérience de la beauté et de la grâce de l'immanence, et dépasser sa simple rage destructrice ou autodestructrice initiale.

Ce serait peut-être un peu le monde de la boxe (amateur, bien sûr) tel qu’il devrait être mais, bien fait, c’est-à-dire plus subtilement que je le propose ici, cela pourrait – et c'est ma deuxième suggestion – lui permettre, puisque son statut d'écrivain et son age doivent lui assurer un certain respect dans cet univers particulier, d'influencer intellectuellement le « Noble Art », afin qu'au-delà des simples considérations de dépassement de la misère caractérielle ou matérielle immédiate, il puisse aussi offrir une possibilité de dépassement de la misère poétique.

Et cela, P. Jourde pourrait le faire en mettant en avant cette expérience, dans cet « art », de la beauté et de la grâce dont il a lui-même parlé, le premier.

Le rôle du poète, et peut-être de l’écrivain, est de montrer et de rappeler ce que l’on peut chercher et trouver.

Autrement, les amants ou les boxeurs, ne sachant, le plus souvent, pas mettre des mots sur ce qu’ils vivent, le laissent faner, ou surtout, trop peu sûrs d’eux, le laissent filer.

Les poètes donnent la carte et l’assurance. La carte au trésor. Nous vous donnons, Madame, Mademoiselle, Monsieur, l’assurance etc.

Voilà ce à quoi nous servons.

Il y a peu d'écrivains qui pratiquent la boxe. Cravan, en pleine Première Guerre mondiale et trop fantasque, n'aurait pas pu faire cela. C'est peut-être quelque chose qui lui revient (à P. Jourde). C'est quelque chose que, de toute façon, peu de gens pourraient lui disputer.

Et puis, ennoblir un sport et ceux qui le pratiquent, par un écrit, alors même qu'il s'agit déjà du « Noble Art » ne pourrait pas lui valoir une plus mauvaise réputation que celle qu’il s'est faite, selon ses propres dires, comme satiriste.

Ce serait, dans tous les cas, une bonne action.

Mais, bien sûr, je suggère, j’invite, j’évoque seulement.

J’achèterais bien entendu le livre s’il paraît un jour.

 

Nous, on le sait, nous tâchons d’ennoblir les rapports sentimentaux et amoureux entre les hommes et les femmes. L’idée de l’amour.

Mais c'est une idée (celle de la grâce de (et dans) l'amour) qui passe pour encore plus « ridicule » aux yeux de cette époque déconstruite et en ruines, que celle de l'idée de la grâce dans le sport ou ailleurs.

On peut s'en étonner mais c'est ainsi.

»

 

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Par  Stéphane S. (Universitaire)

22H25 03/11/2010

 

Ouh là, ouh là, 38 lignes exclusivement consacrées à un malheureux homme de paille, et tout ça pour un commentaire de quelques mots ! Cette fureur outragée surprend de la part de quelqu'un qui est capable d'attaques aussi sales que celles que vous nous avez parfois donné l'occasion de lire.

 

Reprenons : rien de ce que j'ai pu lire de vous ne m'a jamais intéressé, MAIS, étant donné que je vous respecte à priori en tant qu'être humain, je lis aussi vos commentaires. Pensez aussi que si toute critique qui vous était adressée par internet était l'oeuvre d'un méprisable petit être qui, à l'abri derrière son écran, se permettait toutes les bassesses, vous en verriez de plus vertes et de moins mûres.

 

Enfin : j'ai pensé, très personnellement, que la réponse la mieux adaptée à votre grandiloquence était une simplicité potache. Vous seriez tellement plus agréable à écouter si vous n'en rajoutiez pas tant dans l'emphase et la paraphrase ! Et vos errata, qui ont suscité les commentaires qui vous ont à ce point révolté, me semblaient représenter la quintessence de tout cela.

 

Et, s'il vous plaît, laissez cet homme de paille tranquille, il ne vous a rien fait. Que de raccourcis ! On n'attend plus que la "reductio ad Hitlerum".

 

Si vous êtes d'accord, nous ne gaspillerons pas beaucoup plus de papier virtuel là-dessus. Je suis désolé si vous avez considéré que mes propos étaient d'une violence qui dépassait les bornes. Personnellement, et je peux me tromper, je ne pense pas que ce soit le cas, et je serais déçu d'apprendre que c'est là qu'elles se trouvent. Sur ce, je m'écarte afin de laisser reprendre le débat.

»

 

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Par  R.C. Vaudey

23H54 03/11/2010

À M. Stéphane S. Je vous

 

À M. Stéphane S.

 

Je vous remercie de votre commentaire. Il me permet d'ajouter cette précision : j'ai effectivement hésité à intégrer ce paragraphe dans ce post, et je dois dire que je l'ai maintenu parce que dans le mouvement du texte que je venais de finir et que je n'avais pas le courage de reprendre, il me permettait de dénoncer un danger bien réel de l'époque (en exagérant, je le reconnais, la violence de votre « commentaire potache », comme vous le décrivez vous-même).

J'ai regretté de « l'instrumentaliser » ainsi, simplement pour amener la suite de ma réflexion, particulièrement dans un texte qui prône l'élévation et non la bassesse.

Cependant, pas plus que je ne considère que vous avez dépassé les bornes, je ne considère cet effet de manche, si vous voulez bien me passer l'expression, comme le comble de la bassesse. Ce n'était pas très élégant de ma part. J'en avais des regrets. Je vous les exprime.

De votre côté, je pense que « sales » a dépassé votre pensée. Que ce soit le cas ou non, restons-en là, si vous le voulez bien, car je me rends bien compte que, comme l'a fait remarquer M. Rossi, tout cela est un peu lourd et occupe exagérément ce blog.

Pour ma part, je ne verrais pas d'inconvénient à ce que Pierre Jourde supprime de cette discussion mes commentaires, après en avoir pris connaissance, puisque, enfin, c’est à lui, principalement, que je m’adressais.

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Puis, plus tard, à l’occasion d’un autre article, d’un journaliste cette fois, illustrant la misère dont on parle plus haut, et comme pour éclairer la façon dont on peut ennoblir l’amour par un écrit, lui-même conséquence d’un moment de grâce amoureuse…

 

04h12  30/11/2010

 

Plus mauvaise scène de sexe.

(Extrait prosifié du Journal d’Un Libertin Idyllique (Anonyme) ; Poésies de l’époque des Thang, traduites du chinois et commentées par le Marquis d'Hervey-Saint-Denys.)

 

« Ondulante, lente, reptile, subtile, vous me constrictez dans une merveilleuse danse qui nous mène, éperdus, abandonnés… moi, en extase, les bras derrière la tête, croisés.

A genoux derrière vous, les yeux à demi clos, j’entrevois seulement le merveilleux du monde comme un soleil qui pénètre notre chambre par les rideaux à demi fermés.

 

Dans cette transe, ardente, jouissante, abandonnée, vous êtes pour moi le miracle de la féminité, et j’amplifie, sans y penser, vos ondulations savantes, lascives, ferventes et inspirées, de cette même grâce d’abandon lascif, ardent, chaloupé qu’en moi vous provoquez.

 

Tous ces beaux mouvements de l’amour qui se provoquent et se répondent dans la délicatesse et la puissance d’autorité composent à ce moment le plus extatique duo que nous ayons jamais formé.

 

Subtile, tactile, ondulante, lente, profondément pénétrée de cette ardeur, sensible, gourmande, savante, extasiée que je vous rends dans le caressement spontané que vous faites en moi danser, nous jouissons longtemps  – tout savourant, immodérés – du miracle de la pure sensation et de la sensation du pur miracle. Ce qui est très particulier.

 

Subtile, tactile, ondulante, lente, savante, abandonnée, en transe, aimante, débordée, vous jouissez, rugissante, du miracle d’aimer… Et nous tonnons, en chœur et de toute notre âme, dans l’absolu silence du monde – ici absolument tendrement ensoleillé d’automne – de notre infinie puissance d’exister.

 

Mais vous, quel miracle m’a fait vous rencontrer ? Vous, si tendre, si puissante, si puissamment à la grâce du monde abandonnée ? »

 

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Quelques mois auparavant, en juillet, à la suite d'une remarque "désobligeante" de sa part sur le Manifeste sensualiste, nous étions intervenus sur le blog de Pierre Jourde, de façon moins "constructive", comme on pourra le lire ci-après.

 

Par Chateaubriand

22H34 07/07/2010

Pour rire, entre amis, cet

Pour rire, entre amis, cet été, on pourra toujours relire la correction infligée par R.C Vaudey à Pierre Jourde après sa "critique" du Manifeste sensualiste: http://www.avantgardesensualiste.com/jourde2010.htm

ou dans le numéro 87 de la revue L'Infini http://livre.fnac.com/a1550782/Collectif-L-Infini?Fr=0&To=0&Nu=2&from=1&...

Le Clézio en rit encore !

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Par Pierre Jourde (Écrivain)

16H07 08/07/2010

Quelques réponses en

Quelques réponses en vrac.

Comme d'habitude, le commentaire de Pierre V. est passionnant, mais je ne partage pas ses conclusions. L'essentialisme ne disparaît pas en changeant les mots. Il change de masque, et c'est tout ce que je reproche à ces manies euphémisantes. La dérobade. Reste que le terme "francophone" est discutable, je l'ai reconnu moi-même, et l'anecdote de TM est assez savoureuse à cet égard !

Vous l'aurez remarqué, le ton de cette chronique est mesuré, et dépourvu de haine. Je continue à m'étonner de la haine sécrétée par quelques contributeurs insultants. Leur courage est à la mesure de leur anonymat. En ce qui concerne mon ego, en me qualifiant de "petit romancier", je ne vais guère dans ce sens. Fausse modestie ? va savoir.

Il faut, en effet, lire le "Manifeste sensualiste", un des ouvrages les plus drôles, (involontairement) que j'aie jamais lus. Comme des amoureux de l'amour ont répondu à une critique amusée d'une page par des torrents d'injures personnelles incroyablement haineuses (curieux quand on aime autant l'amour), je me contenterai de reproduire ici le commentaire que j'en ai fait dans "Littérature monstre" :

Je me suis avisé, avec quatre années de retard, que le fameux R. C. Vaudey avait répondu, dans « L'Infini » n° 87, de mai 2004, à l'article ci-dessus, qui occupait deux tiers de page dans La Quinzaine littéraire (on l'a un peu étendu ici afin de mieux goûter les beautés de style des sensualistes). Le texte de sa réponse tient en douze pages, interligne simple, petits caractères. C'est dire l'importance accordée par le prophète sensualiste aux critiques dont ses oeuvres peuvent faire l'objet. On mesure mieux cette importance lorsque l'on s'aperçoit que cette réponse constitue l'une des trois publications des Sensualistes, avec le Manifeste et une sorte de poème programmatique.

R. C. Vaudey intitule ce texte, dont le niveau honore la revue « L'Infini » : « La bourde ou la fixation hallucinée ». (L'excellent jeu de mot Bourde-Jourde figure aussi dans L'Etoile des amants de Philippe Sollers). Il n'y emploie pas exactement le même ton que dans son Manifeste. Il serait long de reprendre par le détail les arguments développés par le Grand Mamamouchi Sensualiste. Qu'il suffise de signaler qu'ils sont irréfutables, et même écrasants. R. C. Vaudey le déclare lui-même, se félicite de la « petite correction » infligée à l'adversaire, tout en se congratulant pour ses « belles phrases » et plus généralement pour l'excellence de sa prose : « un grand livre », « éblouissant », « je suis un inventeur bien autrement méritant que ceux qui m'ont précédé », « un musicien qui ai trouvé quelque chose comme la clé de l'amour », « donne le sens de ce long travail d'émancipation de l'Homme, engagé par notre propre culture », « analyse de l'aliénation beaucoup plus subtile que le programme de Marx ».

S'il y a un esprit particulier à la revue « L'Infini » et à ceux qui y publient, sans doute faut-il le chercher là. Philippe Sollers, R. C. Vaudey, Yannick Haenel, François Meyronnis, Frédéric Badré sont des spécialistes de l'autocongratulation, qui aiment à se complimenter des triomphes sans nombre qu'ils s'accordent.

Pour le reste, R. C. Vaudey écrase, à juste titre, la bête immonde. Jourde et ses pareils sont ainsi qualifiés dans son article vengeur : vieux bidons, pleurnichards et dépressifs, polluants, petits cadres ne sachant que penser et vivre selon les modèles fondamentaux de la société dominante, existence de fonctionnaire, ils s'ennuient avec leur femme, engeance, misère caractérielle, mentalité de singe dominé, désespéré de comptoir, bêtise, malheur très bête, malheureux second couteau désarmé tant théoriquement qu'existentiellement, délire, burlesque butor, le malheureux, dans sa lointaine province déshéritée, jobard, gourde, foutriquet, remplaçant-pendant-les-vacances, stagiaire, comme un manche, petite taupe aveuglée et grise, malheureux échotier impuissant, l'aigreur et la haine l'égarent, sec, lourdement dépourvu d'esprit, mort-vivant, vachette folle, grosses galoches, matamores, extravagants du stylo, déprimés du clavier, comprimés en leurs plans d'épargne et leurs plans de carrière, sectateurs de l'idéologie mafieuse, peines-à-jouir-à-peine, balourd, malheureux, mort.

Ce n'est pas exactement ce qu'on peut appeler un « chant d'amour langoureux ». Inutile de chercher à répliquer lorsqu'on s'est fait si brillamment clouer le bec, et sans recours aux arguments ad hominem. Amour de l'humanité, d'accord, mais pas pour les stagiaires et les remplaçants (les stagiaires, d'ailleurs, sont-ils tout à fait humains ?) Les sensualistes ne rigolent pas avec le respect qui leur est dû. Les gardes rouges étaient des enfants de chour de l'invective à côté de ça. En cela, les sensualistes participent d'une tendance lourde de l'attitude actuelle de l'artiste critiqué sur ses ouvres, qui consiste à s'en prendre à la personne et à la femme du critique.

R. C. Vaudey a raison : l'homoncule sordide qui écrit ces lignes « manque de sens de l'humour », sens si abondamment développé, en revanche, chez les sensualistes, comme le montre leur réponse. En outre, le stagiaire doit bien le confesser, non seulement il s'ennuie avec sa femme, mais il est chauve et bedonnant, elle est laide et frustrée, elle porte des bigoudis et une douillette rose, ses enfants sont tarés, sa mère fait ses courses à Auchan en survêtements, ses ancêtres étaient syphilitiques et bossus, il n'a qu'un emploi à temps partiel et la sécurité sociale. Pour ne rien arranger, s'il faut en croire Josyane Savigneau, autre amie de Philippe Sollers, il est un homosexuel haineux infecté par le sida. Est-il besoin d'en dire plus ? La cause est entendue. C'est donc penaud et vaincu qu'il assiste, grisâtre petit cadre impuissant et peine à jouir, réprouvé, stipendié de la marchandisation, au triomphe solaire du sensualisme.

Vous le voyez, lecteurs de ce blog, les sensualistes sont des gens amusants et sympathiques, comme le dit "Chateaubriand". Quant aux injures personnelles comme toute réponse à l'exercice mesuré de la critique, cela fait quelques années que j'en ai pris l'habitude.

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Par Chateaubriand

18H25 10/07/2010

Le Manifeste sensualiste est

Le Manifeste sensualiste est un livre éblouissant. C'est un fait. Mais chacun ayant en ce moment des lunettes de soleil sur le nez ou sous la main, c'est le bon moment de le lire. Et de pratiquer l'art auquel il invite.

Vos jeunes enfants jouent. Votre femme est belle. Nécessairement. Pourquoi ne pas aimer l'amour ? Pourquoi ne pas tenter avec elle "l'accord des puissances et des délicatesses réciproques et partagées" ? Pourquoi ne pas vous abandonner à "l'extase harmonique et à l'ouverture poétique au monde qui la suit" ? Et que R.C. Vaudey célèbre dans son Manifeste.

Qu'avez-vous à perdre à vous y essayer ?

De toute façon, vos retraites ne vous seront pas versées ou, si elles le sont, ce sera à la façon dont on en verse aux fonctionnaires de l'ex-URSS, en ce moment.

Dans quinze ans, vos enfants, si charmants, se feront transformer, par la chirurgie esthétique ou les manipulations génétiques, en hybride d'alien et d'ours blanc ou en tout autre chose, selon la mode "sexuelle" et "ludique" du moment. (Hypothèse 1 : victoire du Spectacle.)

A moins qu'ils n'entonnent, kalachnikov à la main, un autre genre d'Hymne à l'Amour : façon Dutronc-Gainsbourg. (Hypothèse 2 : dissolution du Spectacle.)

Quant à l'hypothèse 3 : cette sensualisation et cette humanisation des hommes et du monde dont parle le Manifeste sensualiste (qui traite de sujets, comme on peut le lire, en effet très drôles...) qui peut y croire vraiment...

Je suis Vaudey dans son éloge de la rencontre et de l'abandon poétique à l'autre et au monde ; ses développements sur la "poétisation" du monde (et même s'il lui donne un millénaire...) me paraissent assez vains.

Il faut lire "La bourde ou la fixation hallucinée" ici http://www.avantgardesensualiste.com/jourde2010.htm

ou dans le numéro 87 de la revue L'Infini http://livre.fnac.com/a1550782/Collectif-L-Infini?Fr=0&To=0&Nu=2&from=1&...

qui, contrairement à ce que prétend Pierre Jourde, n'est jamais insultant - et certainement pas pour la femme du "critique" - qui, lui, il est vrai, s'y voit qualifier, entre autres choses, de "foutriquet-se-rêvant-polémiste" (ce qui est plus drôle que "foutriquet") et de stagiaire, vraisemblablement parce que Vaudey n'imaginait pas qu'un "spécialiste universitaire" du XIXe siècle pût ignorer Mallarmé à ce point, comme j'ai moi-même du mal à croire qu'il n'ait pas reconnu Rimbaud dans "l'inventeur bien autrement méritant... de la clé de l'amour".

"La Bourde" est un texte lyrique et ombrageux. On peut même dire que c'est du brutal. Et, si j'ai connu une polonaise qui le lisait au petit déjeuner, il faut quand même admettre que c'est plutôt une prose d'homme. Mais c'est aussi une espèce de drôlerie qui agrémente intelligemment les soirées entre amis.

Pierre Jourde en a commis quelques-unes; également.

Le Manifeste sensualiste, lui, n'est pas le livre de tout le monde : il faut en avoir l'usage sans ça, au prix actuel, on l'amortit pas.

(Enfin, certains prétendent que le prix s'oublie mais que le génie reste...)

Bonnes vacances, donc.

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Par Cécile C (Universitaire)

12H57 29/07/2010

Cher M. Jourde, Vous êtes

Cher M. Jourde,

. (Suivait, ici, un texte en réponse à l'article de P. Jourde, texte qui ne concerne pas nos échanges avec celui-ci ; seul le post-scriptum, que nous avons gardé, nous interpellait directement.).

Bien cordialement,

CC

PS : Châteaubriand : une "prose d'hommes" ???! Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... Enfin si vous pouvez m'expliquer le sens de cette expression (et sans me dire que oui, bon, le féminisme bon teint de la pensée dominante ça va cinq minutes etc., bien entendu), je serai heureuse de savoir exactement ce que vous vouliez dire !

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Par Chateaubriand

03H18 30/07/2010

Chère Cécile C, J'avais

Chère Cécile C,

J'avais souhaité de bonnes vacances à Pierre Jourde et aux lecteurs de son blog que je ne connaissais pas et sur lequel je ne me serais pas invité s'il n'avait cru devoir faire une allusion ironique au Manifeste sensualiste, il y a peu de temps de cela, à l'occasion de sa polémique avec une certaine WRATH - allusion qui m'est revenue grâce à notre « ami » Google auquel rien n'échappe - et je ne pensais pas devoir sortir de nouveau de ma « réserve » naturelle et heureuse pour reparaître en ces lieux mais, puisque vous m'interpellez directement, je me dois de vous répondre, d'autant que cette réponse va vous éviter un ridicule et nous éviter un malentendu. Que n'avait Pierre Jourde, en 2002, à l'époque de la critique du Manifeste sensualiste, un tel usage d'Internet et un pareil blog : il se serait évité lui aussi un ridicule et un malentendu !

Ardent défenseur des sensualistes et de R.C. Vaudey, et bon connaisseur de leur revue ainsi que de l'univers théorico-poétique auquel ils font référence, il me semble en effet, après avoir parcouru ce blog et découvert un peu son auteur, que toute cette histoire entre Vaudey et Jourde est partie d'un malentendu et, aussi, il faut bien l'admettre, d'un « malentendant » (Pierre Jourde) qui n'a pas entendu les détournements « des publicités des parfumeurs » - auxquelles faisait pourtant déjà allusion Mallarmé dont il est censé être un bon connaisseur -, qui n'a pas senti tous les jeux qu'autorise bien évidemment le genre du manifeste - jeux dont le Manifeste sensualiste est tissé - et qui, d'ailleurs, n'a pas davantage reconnu Rimbaud (voir mon post ci-dessus) dans le texte intitulé « La bourde ou la fixation hallucinée », bref qui a manqué d'humour tout en ratant le sens profond du texte que d'autres critiques (qui sont cités sur le site avantgardesensualiste.com) n'ont pas manqué, vraisemblablement parce qu'ils n'étaient pas aveuglés par la même fixation que Jourde a vis-à-vis de Sollers, l'éditeur du livre en question.

Il y a bien sûr une opposition de caractère entre Jourde et Vaudey : l'un doute de tout et surtout de lui-même, il l'avoue d'ailleurs sans fausse pudeur sur ce blog ; l'autre ne doute de rien, s'attend à tout, et il l'a fait écrire sur la quatrième de couverture de son livre.

Il y a aussi des oppositions d'états dans le monde : quoique partis tous deux du Temps perdu, ils ont écrit leurs existences tout à fait différemment ; l'un a été un temps communiste (à une époque où l'on disait « stal ») et puis il a suivi une honnête mais modeste carrière de fonctionnaire dans l'Éducation nationale ; l'autre parle des « pro-situationnistes » (et de l'époque où l'on disait « pro-situ ») et on sent qu'il a dû l'être à 20 ans, et, pour le reste, l'on ne sait pas trop s'il a toujours suivi des voies honnêtes mais on est sûr qu'elles ont été et sont toujours très immodestes.

Enfin, le premier traite du monde tel qu'il va et que peuvent le connaître (dans leurs histoires familiales, conjugales, professionnelles etc.) ses lecteurs, quand le second, qui se voit comme un anti -Sade (ou plutôt, devrais-je dire, comme un Antésade puisque l'on avait déjà l'Antéchrist, avec Nietzsche auquel il fait souvent référence) ne fait allusion qu'à, je le cite, un « monde post-idolâtres, post-économiste et post-analytique » où les hommes et les femmes pourraient connaître « l'amour, la poésie et l'égalité des amants », « la jouissance puissante et paisible de l'amour et du Temps », « l'accord des délicatesses et des puissances réciproques et partagées », « l'extase harmonique » et la « jouissance post-orgastique », dont on se demande bien d'où il tient ce qu'il en sait, que ses lecteurs, eux, ne semblent pas vouloir connaître, lecteurs que, dans le même temps, il se flatte de ne pas avoir et semble même douter désirer (« Ayant longtemps hésité sur la nécessité d'apparaître ou non etc. » dans le Manifeste.).

Ces quelques petites divergences écartées, je ne suis pas certain que Pierre Jourde, s'il avait reconnu et compris le propos des sensualistes, se serait attaqué à un styliste comme R.C. Vaudey puisque l'un et l'autre, je crois, défendent le style, qui varie bien sûr en fonction des genres que l'on utilise (manifeste, pamphlet, poème, roman etc.), et aussi parce que, dans une époque où la guerre des sexes fait rage comme jamais et dans laquelle les femmes meurent sous les coups de leur mari ou de leurs amants pendant que les maris ou les amants sont poussés au crime, à l'alcoolisme ou à la folie par la misère du monde dans laquelle il faut bien entendre aussi celle des femmes, vous me l'accorderez, je pense que Jourde se serait trouvé d'autres ennemis que des poètes qui tentent de vivre, et qui défendent, le dépassement de cette guerre des sexes.

Je crois que s'il avait compris cela, à l'époque, il se serait trouvé de véritables malfaisants, et je pense même qu'il les a trouvés depuis.

Et c'est cela qui me ramène, après ce long détour, à votre propos et à cette sorte d'indignation que j'ai sentie chez vous, provoquée par mon expression « c'est une prose d'homme » (sans « s » car il n'y en a pas dans le texte d'Audiard) : que vous ayez pu me croire, moi, ardent partisan des sensualistes et de leurs thèses, véritable sectateur de ce « dépassement de la guerre des sexes dans et par la rencontre émue des sexes opposés dans la jouissance des ardeurs et des puissances réciproques et partagées », moi, farouche défenseur de cette grâce suprême que représente dans l'univers « l'extase harmonique », et ne voulant véritablement connaître qu'elle, que vous ayez pu me penser un instant l'auteur des dernières lignes de mon billet et de son méchant style, voilà ce qui m'attriste.

Heureusement que je ne suis pas auteur et que vous n'êtes pas critique car nous aurions rejoué l'histoire de Vaudey et de Jourde : vous auriez fait une critique ironique de celui qui prétend aimer l'amour et les femmes, et qui utilise des expressions machistes et datées, et je vous aurais assassinée en vous ridiculisant pour n'avoir pas reconnu dans le texte de mon post (à partir de « on peut dire que c'est du brutal » jusqu'à la fin.) le texte du film : « Les tontons flingueurs » écrit par Audiard que j'ai détourné, volontairement, pour finir la polémique avec Pierre Jourde (en « tonton flingueur » « flinguant », sans méchanceté, celui que la presse, et il ne s'en est pas défendu, a souvent présenté comme tel : saisissez dans Google par exemple : Jourde tonton flingueur, et vous comprendrez ce que je veux dire).

Mais, bien entendu, personne ne vous reprochera de ne pas connaître une pareille littérature, et c'est plutôt moi qui dois m'excuser d'avoir en quelque sorte abaissé le niveau des échanges de ce blog en y faisant référence.

J'avais simplement voulu conclure, à l'inverse de Vaudey, en détournant un texte que j'étais sûr que Jourde, lui, reconnaîtrait, et d'une façon telle qu'il ne pourrait que l'apprécier, en connaisseur, et je n'ai réussi qu'à vous blesser ; si peu que ce fût, je m'en excuse.

Vous trouverez facilement le texte des « Tontons flingueurs » sur Internet. Vous retrouverez facilement les dernières lignes de mon post dans ce texte, et peut-être la façon dont je l'ai détourné vous amusera-t-elle, même si l'explication que vous m'avez en quelque sorte forcé à donner gâche beaucoup l'affaire.

On pourrait m'accuser, si l'on manquait d'humour, de cautionner malgré tout, et par ce genre de détournement, ce genre de propos tenus dans ce film. Ce serait me faire un mauvais procès. Pour savoir ce que je pense, je ne peux que vous renvoyer ici

http://www.avantgardesensualiste.com/jourde2010.htm

ou au numéro 87 de la revue L'Infini http://livre.fnac.com/a1550782/Collectif-L-Infini?Fr=0&To=0&Nu=2&from=1&...

au Manifeste des sensualistes et à leurs autres textes qui me plaisent tant parce qu'ils font désirer de vivre cette sorte d'expérience de l'amour et du « Temps » qui vous autorise à écrire de telles choses, pour ainsi dire aussi follement.

Qui vous font souhaiter enfin, comme aurait dit André Breton, d'être « follement aimé ».

C'est ce que vous m'autoriserez, pour finir mais bien sincèrement, à vous souhaiter.

Bonnes vacances, donc.

Chateaubriand.

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  Nous partions de loin puisque notre premier contact littéraire avec Pierre Jourde, en réponse à son article paru dans La Quinzaine Littéraire de juillet 2002, sonnait comme cela :

 

 

 

 

La bourde de Jourde (Pierre) ou la fixation hallucinée. (octobre 2002)

 

 

Vaudey, dans la suite du Manifeste Sensualiste et des critiques parues dans la presse, avait fait, en octobre 2002, en réponse à ces différents articles, quelques textes réunis sous le titre de : "Précisions sensualistes".
Nous avons décidé d’en reproduire un, écrit en réponse à un article d'un certain Jourde, assez représentatif de quelques vieux bidons, pleurnichards et dépressifs, mais littérairement actifs et polluants, avec lesquels il écrit, et qui sont, pour certains, assez exemplaires de ce qu'il est advenu, dans leur quasi-totalité, des pro-situs des années soixante-dix, qui, comme on le leur prévoyait alors, sont devenus des petits cadres ne sachant que "penser et vivre selon les modèles fondamentaux de la société dominante". A l'époque, le pro-situ carriériste le plus débile assurait qu'il connaissait "au mieux, depuis quelques semaines, la fête, la théorie, la communication, la débauche et la dialectique." ; mais finalement ils sont tous retournés “à l'ennui, aux temps morts, au travail, aux mensonges et à toutes les familles”, et aujourd'hui ils ont gardé l'air de la critique du Spectacle mais avec l'inspiration que leur a donnée leur existence de fonctionnaire : ils n'en ont plus la chanson. Il n'est plus question de fête, la communication est absente, la débauche, quasi obligatoire maintenant, est triste, ou ils s'ennuient avec leur femme, et ainsi ils répètent sinistrement ce qui avait été inventé avec énergie, il y a quarante ans, et qu'ils n'ont pas su dépasser. S'il fallait s'attarder un moment sur les protagonistes de notre pauvre époque –- qui pour la plupart passeront tous comme rien – on pourrait dire de toute cette engeance -– qui en plus s'est fait un genre de ce qui n'est qu'une misère caractérielle : la dépression alcoolique, qu'elle singe d'un qui la fascine tant et qui la méprisait encore plus et qui s’était gâché l’humeur, et donc la main, aux alcools –- qu'elle est la plus bête et la plus éloignée de cette grande tâche, dont parlait Nietzsche, de faire grandir en sève et en force l'arbre de l'Humanité et de la raison, qui est le seul et grand jeu -– perdu ou gagné d'avance, qu'importe... -– qui non seulement vaut la peine d’être joué (les autres sont si faciles...) mais qui, plus encore, seul peut permettre de juger – par l'élégance, le talent, l'habileté et la puissance qu'ils y déploient – des auteurs et de leurs œuvres. Sur ce point, pas d'indulgence inutile.
Ce Jourde-là, très marqué par la discipline et l'enrégimentement de son univers professionnel, voit le monde avec une mentalité de singe dominé, tout à la fois fasciné et irrité par la puissance des "mâles dominants", de sorte que dans la fixation hallucinée qu'il fait sur Philippe Sollers il le voit partout, en "dos gris", en “parrain”, entouré de ses vassaux et surtout de ses houris.
Mais Philippe Sollers -– et contrairement à ces cynocéphales de coteries qui ne se publient qu'entre eux et utilisent le peu de pouvoir qu'ils ont à se promouvoir les uns les autres à l'exclusion de tout ce qui ne ressortit pas à leurs clans –- nous paraît seulement être ce qu'il prétend être : un écrivain, responsable d'une collection, et qui s'attache à ce que l'idée et l’expérience vécue de la beauté et l’art ne se perdent pas ; et lorsqu'il déclare lire les livres qu'il reçoit, nous pensons qu'assurément il le fait.
Il sait également parfaitement reconnaître un grand livre, lorsqu'il en croise un, et le publier, même lorsqu'il ignore tout de son auteur et même lorsque celui-ci développe un certain nombre de thèses qui parfois recoupent les siennes, ou celles de ses amis, et qui parfois, aussi, les contredisent (ce qui est une forme d’élégance que nos désespérés de comptoir ignorent et méprisent vraisemblablement).
La publication du Manifeste sensualiste, texte qui envisage tranquillement le long cours du temps (plus proche en cela du sens historique de Nietzsche que de celui de Debord) dont il avait reçu par la poste le manuscrit, et dont il avait décidé, à sa simple lecture, de le publier dans les meilleurs délais, et cela sans même connaître Vaudey –- ni d'ailleurs personne de son entourage –- et en ne l'ayant même jamais rencontré, le prouve suffisamment.
Les amis de Jourde, eux, ne lisent pas ce qui ne confirme pas leur bêtise malheureuse, leur malheur très bête qui sont justement ce que produit essentiellement le Spectacle, puisque ce sont cette bêtise et ce malheur qui conditionnent la consommation de tout le reste.
Nous avons choisi de publier ici cette petite correction donnée à ce Jourde, parce qu'elle apporte effectivement quelques précisions utiles et aussi parce que, alors qu’il semblait regretter le temps des corrections théoriques, il nous a paru, lui que tout désole tant, qu’il ne fallait pas le décevoir, de surcroît, sur ce point.
C'est donc ce texte que l'on pourra lire dans les pages qui suivent, tel qu’il a été écrit à l’époque.

Préçisions sensualistes.
(Octobre 2002.)

 

Quand nous sommes très forts, – qui recule ? très gais, – qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants. – que ferait-on de nous ? Parez-vous, dansez, riez – Je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenêtre."
Arthur Rimbaud. Illuminations.

Nous avons découvert en septembre –- tard donc, mais c'est sans doute là l'effet de l'indolence légendaire des sensualistes -– grâce au service de presse de Gallimard, l’extravagant article qu'un des pigistes de la "Quinzaine littéraire" a consacré au Manifeste Sensualiste, en juillet 2002.
Quitte à vouloir s'occuper des sensualistes, ces gens n'auraient pas dû en laisser le soin à un malheureux second-couteau, qui plus est aussi désarmé, tant théoriquement qu'existentiellement, et qui s'y prend comme un manche, et sans l'âme.
Dans le commencement de son délire, le malheureux fait comprendre qu'il n'aime pas que des poètes se considèrent comme les législateurs, même non reconnus, du monde, et qu'ils le lui disent, sur ce ton.... Mais tout cela part, dès ce début, d'un malentendu (ou d'un "malentendant"...) : ce livre ne lui était pas destiné.
Nous voulions, comme Xavier Forneret, ne destiner cet ouvrage qu'a ceux qui en auraient fait la demande auprès de l'éditeur, et après examen de cette demande par l'auteur ; et puis finalement nous avons renoncé : c'est regrettable car j'aurais pu, dans cette hypothèse, éviter à sa vue basse, le choc, éblouissant, de cette lecture.
Il dit également, dans ce début, qu'il n'aime pas les phrases baroques, qui, je le sais bien, contredisent parfaitement à ce qu'enseignait Vauvenargues, mais qui écrivait dans une autre époque ; aujourd'hui ces "longues phrases avec leurs digressions trop longues ou trop fréquentes qui rompent l'unité du sujet" et qui, toujours selon Vauvenargues, "lassent les lecteurs qui ne peuvent suivre sans beaucoup de peine une trop longue chaîne de faits, de preuves", il ne faut pas "les laisser aux écrivains médiocres qui amusent le peuple qui lit sans objet et sans pénétration et sans goût", mais bien au contraire il faut en jouer, à l'occasion, puisqu'elles interdisent le survol, obligent à de nombreuses relectures et à cette rumination que Nietzsche tenait pour indispensable au véritable exercice de la lecture, tout en éloignant ceux qui n'ont rien à en faire, ceux qui n'ont rien à faire là. On objectera qu'il y a tant de choses à lire que l'on ne peut pas se permettre de relire et de méditer chaque ouvrage ; et nous, nous pensons qu'il n'y a justement pas grand-chose à lire dans ce qui s'écrit aujourd'hui, de sorte que composer, parfois, ainsi, c'est offrir un bel objet de réflexion à ceux qui lisent et qui méditent encore, et auxquels on n'offre plus grand-chose.
Mais après ses remarques du début, sur le style et le ton, on sent qu'il veut encore plaisanter, sur la forme.
Bien sûr, la forme du Manifeste, un peu plus d'un siècle après le "Coup de dés" de Mallarmé, et après la suite des manifestes offerts par le XXe siècle, n'est pas révolutionnaire. Bien sûr, la typographie du Manifeste n'est pas plus révolutionnaire que sa forme, près de cinq siècles après le Poliphile de Colonna, et après Apollinaire et quelques autres ; en comparaison donc, on peut même dire que j'ai été plutôt modéré sur ces points-là. Mais où voit-on que j'ai voulu laisser croire que la forme de cet ouvrage était "révolutionnaire" ?
J'ai écrit, naturellement, pour des connaisseurs –- dans la continuation, à tout point de vue, de ceux qui m'avaient précédé –- et pour mon plaisir et pour le leur.
C’est donc un plaisir d'esthète de voir le burlesque butor ne pas reconnaître la forme du collage -– elle-même si peu révolutionnaire et novatrice puisque Breton l'utilisait dans son premier "Manifeste du surréalisme" -– dans le texte de la page 18 du "Manifeste sensualiste" et foncer tête baissée dans ce panneau, étalant, sans même s'en rendre compte, son manque, d'avec quelques autres choses qu'il ne peut même pas imaginer, de sens de l'humour.
Le folliculaire a-t-il vraiment cru que nous connaissions deux personnes -– ou seulement deux personnes -– à Shanghai ?
Mais le plaisir continue, de plus belle, puisqu'un peu plus loin, pour comble de déveine, sans se douter de rien, n'ayant peur de rien, et surtout pas du grotesque, il s'attaque –- mais en sabots, cette fois -– à la fameuse question des "étiquettes des parfumeurs" –- parfumeurs dont Mallarmé (pas de chance...) disait déjà qu'ils avaient pris tous les mots –- en découvrant un peu de ces étiquettes dans un autre poème-collage, page 58, qui était, entre autres choses, une private joke sensualiste et qui, bien que n'étant pas destiné, lui non plus, à être une sorte de piège à balourds, a, ma foi, parfaitement fonctionné dans ce sens ; et c'est là, lorsqu'il pense ainsi plaisanter, que l'on peut voir vraiment qu'il est un de ces purs produits, sans goût, de la société du Spectacle dans laquelle le vrai est, indiscutablement, un moment du faux, puisque le malheureux, un stagiaire sans doute, non seulement ne voit pas l'allusion, mais encore semble visiblement persuadé que les mots "luxe, passion et volupté" appartiennent à leurs employeurs, à l'industrie du luxe et des cosmétiques, ou même à ses "artistes", "créatifs" et autres publicitaires, bref, aux "parfumeurs", vraisemblablement parce que, formé sous l’ère du spectaculaire diffus, c’est grâce à ces publicitaires qu’il avait pu, dans sa lointaine province déshéritée, les entendre prononcés ou les découvrir pour la première fois.
Eh non ! Et pour répondre, beaucoup mieux que ne le fit Valéry à la lettre du 6 mars 1916 de Breton, à cette grave question, et grâce à Debord, je dirai que ces mots étaient la propriété et l'invention des voluptueux avant même l'existence de la consommation de masse et son Spectacle corollaire, aux balbutiements duquel Mallarmé et puis Apollinaire, Valéry et Breton étaient déjà confrontés, mais sans pouvoir le nommer, puisque le concept n'en a été élaboré et rendu public qu'aux alentours de 1967 (mais si... vous savez bien, le Spectacle : "Le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image") c’est-à-dire au moment où l’envahissement de la vie “privée” par les images de la domination et où la domination des images avaient atteint un seuil déjà critique dont on voit aujourd’hui les conséquences dans ces bourdes de Jourde incontrôlées.
L'intelligence avance, le monde se rendra à nos raisons.
J'ai donc seulement rendu poétiquement aux sensualistes ce qui leur appartenait, leur appartient et leur appartiendra toujours, en le reprenant à des commerçants informatisés, et à la prospérité envahissante.

Reprendre l'or aux usurpateurs, le partager, s'amuser d'un jobard ou d'une gourde, ou l'inverse, explorer des routes, éclairer ceux qui ne sont pas morts, éduquer au passage des éducateurs, tout en allant au jour le jour, en marge du conformisme social et de la respectabilité, c'est ce qu'on appelle, après Trelawney et son ami Shelley, mais aussi après De Quincey, vivre en gentilhomme de fortune.

Pour lui éviter le ridicule de ne pas reconnaître le jeu du poème-collage, quatre-vingts ans après son utilisation par Breton dans ce même genre du manifeste, il eût fallu sans doute conserver la typographie d'origine de ces réclames retournées à leur sens premier : mais il n'est pas certain que ce remplaçant-pendant-les-vacances eût alors survécu à tant d'avant-gardisme.
Quant à la bourde du foutriquet-se-rêvant-polémiste à propos de la "question des parfumeurs", dont Breton déjà détournait les slogans ("Parfums d'Orsay") et dont parlait aussi Apollinaire dans ses "Calligrammes", justement, ("Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs"), c'est trop bête pour que cela se puisse oublier. Voilà qui amusera sans doute quelques générations de lecteurs.
Désarmé, et comme un manche, disais-je...
Enfin, plus loin encore, et toujours aussi malheureux dans ses choix, il se décide pour ce qui restera comme une des plus belles phrases (page 99) du Manifeste, "aussi simple qu'une phrase musicale" : "les beaux amants pénétrant leurs belles etc.", belle tant par ce qu'elle tente de traduire –- l'indicible de la jouissance amoureuse (enfin celle, si particulière, que défendent les sensualistes) et de l'extase post-orgastique qui suit longtemps (quand on est sans affaire) cette jouissance-là, et non les autres justement (mais je ne m'engagerai pas dans une polémique sur les diverses formes de la jouissance, c'est une question que les universitaires connaissent mal...) –- tant donc par ce qu'elle exprime au fond, pour ainsi dire, que par le mouvement par lequel elle y parvient, par son rythme même et sa construction totalement inspirés (Qui s'émerveille ? Ces lents et tendres caressements, ces pressements doux et forts, sont-ils le fait des unes ou des autres ? Qui s'extasie ? Où commence l'un, où finit l'autre ? etc.). Voilà quelque chose qu'il faut vivre, avoir vécu, pour pouvoir le lire et le re-sentir ; lui, il ne re-sent rien : il remarque, seulement, seulettement, des adverbes. On a les plaisirs qu'on peut.
Et sans l’âme... continuais-je...
Quand je dis qu'il s'agit d'une phrase totalement inspirée, j'entends par-là qu'il ne s'agit pas dans ce cas d'un poème-collage, ni d'une phrase "baroque" très construite (quoique, merveilleusement, elle le soit) mais plutôt d'un nouveau genre de phrase de réveil, genre dont Breton avait déjà parlé, et qui m'est, comme il se doit, venue, une phrase de réveil de sommeil d'amour, pour oser un gros mot que nous ne sommes pas, aujourd'hui, nombreux à avoir la santé, et le mépris du reste, nécessaires pour se le permettre ; un genre de phrase dont le Manifeste, qui est bien sûr un "Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations" (pour remercier au passage Vaneigem, pour son ouvrage), voudrait voir les livres de ceux qui écriront demain, et dans toutes les langues du monde, déborder ; un genre de phrase, enfin, qui permet de voir -– sauf pour la petite taupe aveuglée et grise -– que, dans un si triste temps, je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour.
Mais tout cela est sans importance puisque, selon lui, je ne peux pas exister. En effet, le logiciel ayant programmé notre malheureux échotier impuissant n'ayant pas prévu ce cas de figure, assez neuf lui -– une avant-garde si longuement, si volontairement, presque totalement, occultée –- il va jusqu'à refuser de croire que dans une époque de surmédiatisation dans laquelle chacun est pressé, par la nécessité, d'apporter sur le marché des produits bâclés et de s'en faire le camelot, nous ayons choisi, si longtemps, de rester, pour ainsi dire, dans l'ombre. Ni vus, ni connus. L'impensable : il surchauffe ! On veut l'embrouiller ! Vaudey n'existe pas ! L'aigreur, et la haine de mon éditeur, sans doute, l'égarent. Voilà : l'aigreur l'égare.
En fait, il croyait tout connaître de l'art, et il ne sait rien de ce qu'est l'art véritable, de la façon dont il se joue –- se joue de lui et de ceux qui lui ressemblent, aussi –- et de ce qu'il prépare ; sinon il l'aurait fait lui-même, avec ses amis. Mais c'est ainsi : on croit tout savoir, avoir tout vu, et en fait on est sec, lourdement dépourvu d'esprit, mort-vivant, dépassé par le survenant, et on fonce dans tous les panneaux, en vachette folle et en sabots.
On l'aura compris pour ce qui est de la forme, je ne crois pas avoir fait grand-chose de neuf ; tout est dans le fond.
J'ai déclaré dans le Manifeste que la théorie sensualiste des Libertins-Idylliques découle, entre autres choses, de l'exploration de la nuit de la conscience et de l'inconscience humaines que Breton avait signalée à l'attention de ceux auxquels il avait conseillé : "Lâchez tout... Lâchez au besoin une vie aisée, ce que l'on vous donne pour une situation d'avenir..." (à l'attention de ceux-là, et non à celle des fonctionnaires, donc...) nuit que les surréalistes avaient explorée par les moyens du rêve, de l'écriture automatique, de l'art, etc. en y ajoutant ceux de l'alcool et des stupéfiants "classiques" ; Antonin Artaud, plus tard, y avait adjoint ceux, plus exotiques, du peyotl ; d'autres, après eux, comme Huxley ou Leary avaient étendu la gamme de ces moyens au LSD, et peut-être à quelques autres psychotropes ; et Michaux avait préféré la mescaline. Cependant, la phrase d'Artaud toujours revenait : "Et s'il est quelque chose d'infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c'est de s'attarder artistiquement sur des formes, au lieu d'être comme des suppliciés que l'on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers" ; il fallait trouver d'autres voies.
Les actionnistes viennois, un peu plus tard encore, avaient tenté ce "voyage intérieur" tout d'abord par les moyens de la catharsis de la violence et de la souffrance refoulées, mais encore "esthétisée", (dans leur cas c'est tout de même beaucoup dire...) et sans autre but qu'elle-même, pour passer peu après –- mais dans une version très autrichienne, façon Anschluss, avec crânes rasés et salopettes rayées -– à un mauvais détournement des théories de W. Reich, avec leur "Selbstdarstellung" ; d'autres, en Amérique, à peu près au même moment, dans un genre différent et moins méchamment folklorique ou sectaire, utilisaient des variantes de l'abréaction, qu'ils nommaient différemment, et la prise de conscience qu'elle permet, pour explorer cet "infracassable noyau de nuit" –- du monde sexuel et du reste –- que tous ceux qui avaient vraiment vécu depuis le début du siècle voulaient justement briser et comprendre ; sauf peut-être, parmi ceux-là, les situationnistes qui pensaient que la structure du caractère et l'histoire de sa formation ne les intéressaient pas (I.S n° 1) mais seulement son application à la construction des situations (mais l'Histoire, trente ans auparavant, leur avait déjà donné tort, et trente ans après la dissolution de l'I.S, elle continue, de plus laide) ; certains des sensualistes ont suivi des voies, parallèles à celles que je viens d'évoquer, très radicales ; résultat, ils ont trouvé, retrouvé le Passage au Nord-ouest : "Sous la violence de la névrose, la plage de l'irradiance amoureuse". D'autres, les meilleurs, ne l'avaient pas oublié.
Ceux qui ont lu le Manifeste sensualiste ont donc compris que l'Avant-garde sensualiste est l'héritière de ce mouvement qui, sous certaines de ses formes, avait commencé au début du XXe siècle – mouvement poétique, artistique, analytique, théorique qui avait pour but de comprendre, pour la dépasser en pratique, l'aliénation -– mais combiné à cet autre qui avait décidé de tout refuser du monde, de se tenir hors du monde, et de "Ne travailler jamais" ; la vieille et bonne école : Villon, Ikkyu, Cravan, les anciens Chinois...
L'Eloge de l'insouciance (pesez ces mots !), le Manifeste en totalité, traduisent justement le résultat de "ces courses et de ces dérives", puisque c'est de cela dont il s'agissait : un genre d'aventures pour lequel on n'est pas "sponsorisé".
On peut penser ce que l'on veut des moyens utilisés par certains des sensualistes pour le devenir, moyens qui ont différé sensiblement (quoiqu'ils se soient aussi combinés avec eux) de ceux de l'art, de la dérive, des psychotropes et du reste, utilisés par leurs prédécesseurs, et des résultats, visibles dans le Manifeste, différents eux aussi. Chacun peut bien sûr, à sa façon, apprécier ces résultats, ces aventures, et surtout le style dans lequel ils sont exposés, ainsi que ce sur quoi ils débouchent et les perspectives qu'ils ouvrent, mais battre ainsi la campagne, en faisant son numéro pour les malheureux lecteurs de cette "Quinzaine de la grammaire", c'est se donner, en public, tout seul et pour toujours, le ridicule de n'avoir rien compris au Manifeste sensualiste, à sa parution, et d'avoir été l'écrire, avec ses grosses galoches, en croyant faire le malin.
Trop, dans un style trop neuf (quoiqu'il en veuille), inattendu, ou même plus attendu : l'avant-garde.
Mais, bien entendu, maintenant, détaillé comme cela, dans un genre lourdement explicatif, scolaire, loin de tout art, notre scholiaste, va pouvoir enfin comprendre et s'énerver pour de bonnes raisons.
Insinuer qu'il faut voir dans tout cela les positions de Philippe Sollers sur ces questions, c'est probablement vouloir l'insulter, motivation essentielle, semble-t-il, de cette polémique.
Quant à Madame Forrester qui s'inquiète –- et à juste titre -– pour ceux qu'emporte et sacrifie "le mouvement d'homogénéisation du monde décrit par Marx, envisagé par Condorcet dans son Esquisse, et que rien ne pourrait arrêter, bien longtemps, hors la destruction de cette planète et de ses habitants", alors que les sensualistes, eux, l'envisagent lucidement, dans le déroulement du millénaire qui s'ouvre, avec ses suites fracassantes (nous y sommes déjà), rendues inévitables par les différentes formes d'idolâtries (communautaristes, religieuses, consuméristes etc.) qui animent les peuples et que les menées esclavagistes-spectaculaires-marchandes excitent, entretiennent, manipulent, reproduisent tout en s'en nourrissant, et qu'elles finiront par supprimer en supprimant les conditions technologiques de la vie qui les encouragent, suites qui pourront même être parfois émouvantes –- et c'est cela que les sensualistes veulent favoriser par leurs oeuvres et leurs écrits -– quant à Madame Forrester, disais-je, on ne voit pas très bien ce qu'elle vient faire là.
N'est-ce-pas ?
Ceux qui ont lu et compris le Manifeste ont compris que les sensualistes disent que, pour ce qui est de l'Histoire, tout le XXe siècle s'était trompé sur le tempo -– c'est beaucoup plus lentement que se joue le mouvement réel qui abolit les conditions existantes, et tant pis pour ceux qui voulaient en connaître la fin -– et que, pour ce qui est du noyau dur, finalement fracassable, de nuit, de souffrance et de rage, de terreur et de désespoir, de violence destructrice et autodestructrice, du monde sexuel et du reste, qui sert de fonds, inépuisable, de commerce et d'inspiration à presque tous ceux qui pensent, écrivent et créent, et qui préfèrent se jeter, avec ou sans élastique, du pont, se faire couper en quatre (et bien sûr en faire un mauvais livre, un film ignoble, une installation racoleuse etc.) plutôt que de l'aborder directement et d'en revivre l'origine, le cœur incandescent, les sensualistes disent que ces castrats terrifiés, frileux, cyniques, mondains, révoltés, violents, déprimés, soumis, désabusés etc., ont assez assommé le monde avec leur art de la misère qui fait, avec sa marchandisation, la misère de l'art de ce temps. Ils savent bien que le courage de la plupart de ces fâcheux, satisfaits ou furieux –- qu'ils fassent dans le genre ordurier ou intellectualisé -– s'arrête devant la seule vraie nécessité, pour eux, d'entreprendre ce "voyage intérieur" aux sources de leur misère et de leur souffrance, pour les revivre, les comprendre et les dépasser... si leurs vies et leurs rencontres veulent bien s'y prêter, ce qui est loin d'être donné ; mais ils sont préprogrammés, et ont, de toutes les façons, toujours autre chose à faire : une carrière, une famille, ou leurs mauvais livres, leurs films sordides ou leurs stupides expositions, justement. De sorte que les développements d'une poésie et d'un art post-idolâtres et post-analytiques, post-économistes, ne peuvent apparaître chez ceux -– si malheureux -– que leur propre dévoilement terrorise tant, et qui n'aspirent par ailleurs qu'à se faire spéculer, par le Marché, avec l'esthétisation ou la sexualisation de leurs misères. Ou les deux.
L'Avant-garde sensualiste dit ceci : "Jadis on exposait toutes les oeuvres d'art sur les voies triomphales de l'humanité : c'était des monuments qui commémoraient les heures supérieures de l'homme, ses plus hautes félicités. Maintenant elles visent à détourner, pour une malheureuse minute de convoitise, les pauvres épuisés, les malades de la grande voie de la souffrance humaine ; on leur offre une petite ivresse, une petite folie"; j'ai donc mis, par le Manifeste sensualiste, un terme théorique -– il est là, de nouveau, sous vos yeux –- à la déjà trop longue histoire de l'artiste-en-phénomène-de-foire, et aux autres versions, plus récentes dans leurs formes si extrêmes, de l'artiste "homme d'affaires", ou aussi petit prêtre, ou grand martyr, du divertissement idolâtro-culturel. Exeunt les attractions souffreteuses ou violemment bizarres et les poseurs cacochymes. Exeunt les commerciaux. On ferme la petite boutique des horreurs. La foire est terminée. Retour à la vie.
Bien entendu, cela ne concerne que l'avant-garde, puisque le gros de la troupe, lui, a tant besoin de "l'art-thérapie" (qui vaut ce qu'il vaut comme thérapie, mais qui, aujourd'hui, est absurde comme vision de l'art), et de toutes les poses et de tous les rôles des Arts et des Lettres, pour supporter sa misère ; simplement la conception la plus avancée de l'art et de la vie est ailleurs ; dans le Manifeste sensualiste, par exemple, qui clôt également le chapitre des "paradis artificiels" –- ouvert par Baudelaire et quelques autres... –- et, d'un même mouvement, donne le sens et le but, personnels et historiques, du travail analytique, du voyage intérieur, tout comme il donne celui de ce long travail de l'émancipation de l'Homme, engagé par notre propre culture, et depuis si longtemps, et dont, depuis vingt ans, tout le monde, ou presque, semblait avoir perdu le fil, débordé par les espoirs idiots et déçus, et l'affolement devant la découverte, une fois les interdits levés, de l'enfer et du désespoir (bien entendu il fallait continuer, ne pas en rester là...) sans limites ; et ce sens et ce but, une fois passé ce cap de la terreur, de la fureur et de la désolation sans nom et l'extraordinaire souffrance dont tout cela est le déjouement, c'est : le retour au réel, à la sensation lucide, et aux beaux sentiments qu'elle déchaîne, le retour à la sensitive..., clairvoyante, puissante, emportée-belle et à ses raffinements. L'aboutissement de plus de deux mille ans de désir de la conscience (Socrate) et d'un siècle de conscience du désir (Freud). Le jamais-vu. La grande santé.
On l'aura compris, selon nous, en dehors du déploiement sensualiste –- qui en rejoint ainsi, assez paradoxalement il est vrai, quelques autres qui n'auraient sans doute pas donner cher de ces voies-là et de ceux qu'ils auraient vus s'y engager -– l'art est mort de reculer devant la nécessité historique de s'emparer des moyens, découverts dans le siècle précédents, de crever le "tambour de la raison raisonnante" (Breton) pour explorer l'enfer, et ses raisons, sur lesquelles elle flottait, et la faire réapparaître, plus belle encore, après cette traversée, puisque (sauf à vouloir qu'il ne soit pas l'Aufhebung, la continuation et le dépassement, de tout ce qu'il avait été de grand jusque-là) dans un moment où l'art n'est plus construit, ce sont la vie et le caractère, qu'il exprime et qu'il construit en retour, qui doivent l'être... Puisque, lorsque l'art n'obéit plus à aucune règle, seule la construction des situations, de l'existence et des caractères, et leur beauté, qui amènent cette expression artistique non formelle, lui donnent la puissance, la poésie et le sens nécessaires..
Ainsi, après Lautréamont et Duchamp, Max Ernst et Dorothea Tanning et l’Arizona, l'aventure, pour ceux qui veulent la suivre et la développer, se complique : pas seulement le mot, l'objet... mais la vie ! Infiniment belle et simple.
Dorénavant, c'est : d'abord l'empire des sens, mais bienheureux cette fois – la rage, la souffrance, le désespoir, la vieillesse ennemie défoulés ailleurs (si nécessaire), en tout cas ni sexualisés, ni esthétisés, ni déjoués – et ensuite l'art, la théorie et la construction des situations ; et da capo. Nouveau mouvement. Suite française.
Saisissez cela !
"Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes" et on n'a pas fini de les entendre, dès l'instant où la seule façon d'éviter la nécessité du monde de la sublimation artistique et sexuelle de la misère du caractère – telle que cette époque de malheur la comprend et la rend incontournable – serait la "sublimation" artistique du monde, de la nécessité, du caractère, de la sexualité, et bien sûr de la misère : "L'humanisation globale de la conscience et du monde" c'est-à-dire, aussi bien, "la conscience globale du monde et de l'humanisation".
Mais tout cet art de la misère n'est rien puisque tout cela sent la mort, craint et désire, tout à la fois, la mort, et que l'on sait, au moins depuis Vauvenargues que : "Pour exécuter de grandes choses il faut vivre comme si l'on ne devait jamais mourir" ; et, depuis les Libertins-Idylliques, qu'il faut, pour réaliser cela, goûter beaucoup aux charmes infinis, divins, de la sensitive aux beaux sentiments.
Je sais, ces mots font mal.
J'ai écrit dans le Manifeste sensualiste, pour des "artistes" au sens de Nietzsche, en peu de mots, que, soit on a la chance de pouvoir jouir, avec quelques autres, de soi et du monde, du "merveilleux de l'amour et de l'amour du merveilleux", d'avoir donc une belle âme, préservée ou en partie poétiquement reconstruite dans l'extériorité au monde, soit (enfin, pour les quelques-uns qui veulent poursuivre l'exploration et l'explicitation théorique et poétique du mouvement et du sens du monde, et donc lui donner son sens) on doit s'attaquer à sa propre impuissance poétique, orgastique, sentimentale, théorique, très directement, et puis se reconstruire, aussi lyriquement que faire se peut, dans la poésie et la volupté délectées, savourées, aussi loin que possible du travail, de la famille, de la patrie, de l'idolâtrie et des impérieuses routines. Arrangez-vous !
De tout cela –- dont rien ne paraît devoir le concerner – notre brave homme, en plein délire, comprend qu'il faut "positiver" -– la caque sent toujours le hareng –- et que " le Mal n'a plus qu'a bien se tenir !" On croit rêver !
Lefort, critiquant, dans la "Quinzaine Littéraire", en 1968, "La Société du Spectacle" de Debord, prête à rire –- particulièrement trente-cinq ans après -– mais ça se tient encore. Là, avec leur pousse-caddie, divaguant dans son supermarché, on voit la côte d'alerte de la perte du qualitatif à tous les niveaux de la société, atteinte depuis cette époque. C'est la crue du siècle. Il leur nuit.
Les matamores et les extravagants du stylo ainsi que les déprimés du clavier, les peines-à-jouir-à-peine nous font de la peine –- et nous font rire aussi, soyons honnêtes –- comprimés entre leurs plans d'épargne et leurs plans de carrière, lorsqu'ils veulent se frotter à ces questions pour l'examen desquelles leurs vies ne sont pas faites ; mais qu'ils se rassurent nous méprisons aussi les autres –- tous plus ou moins sectateurs de l'idéologie maffieuse dominante, de ses valeurs et de ses servants médiatisés –- ceux qui, apparemment à l'inverse, s'éclatent, en nouveaux barbares glamourisés ; et le monde semble d'ailleurs vouloir absolument vérifier l'analyse du caractère masochiste qui veut toujours éclater, s'éclater : la tunique de Nessus, la peau de chagrin du malheur se resserre mortellement, dans un monde sans pitié, sur l'homme-sandwich, l'homme porte-marchandises, l'homme vide-ordures, l'homme vide-marchandises, dans ce monde où le terroriste-suicidaire-explosif semble être le modèle absolu de la folie ordinaire, et, pour nous, parfaitement compréhensible, du temps. "Le besoin anormal de représentation" ici ne suffit plus pour compenser "un sentiment torturant d'être en marge de l'existence" : il faut éclater !

Eclater ou jouir
(goûtez ce dernier mot !)
Voilà la question centrale de l'Humanité.

Ceux que le plaisir et la jouissance et leurs raffinements terrorisent tant (ou énervent, dépriment, ou font doucement rigoler : c'est la même chose) sont justement ceux qui (dans le dégoût ou le sport sexuels, les affaires, le pouvoir, le militantisme, la famille, les carrières, la consommation, les religions, la guerre, bref les compulsions, etc.) sentent tant la mort, dont ils savent, au fond, qu'elle les a déjà saisis.
Jouir puissamment, paisiblement, voluptueusement, de l'amour et du Temps, en découvrant dans l'égalité des amants, les charmes d'une humanité à peine rêvée, à venir, voilà pour nos chers talibans, nos chers enseignants, le programme post-idolâtres, post-économiste et post-analytique que les Libertins-Idylliques de l'Avant-garde Sensualiste offrent pour la fin de la préhistoire : que l'irrépressible mouvement de la révolution du monde qui se déroule sous nos yeux soit mis au service de l'amour et de la poésie, et de l'égalité des amants (chers talibans, chers enseignants) ; que le monde et les situations et les caractères soient reconstruits dans ce but-là. La fin et le moyen. Sur les ruines de tout ce qui dans le courant du millénaire va disparaître. Disparaîtra.
C'est un beau programme ; beaucoup plus raffiné –- et qui s'appuie sur une analyse de l'aliénation beaucoup plus subtile, mais qui en même temps a été infiniment plus directement confrontée à l'archaïque de celle-ci –- que le programme de Marx : la chasse, la pêche le matin, et la critique-critique le soir... (et puis Venise n'est-elle pas le modèle minimal de la cité "écologique" du futur, tout en matériaux recyclables...)
Vraiment, on se demande ce que feraient sans nous autres beaux Libertins-Idylliques, les militants de tout poil et tous les gardiens de musée (et aussi leur arrières-petits enfants) -– si dépourvus d'imagination et d'expérience heureuses de la vie -– toujours prêts à sauver le dernier cannibale de Bornéo, ou à admirer le premier "artiste" cannibale qui se présenterait, mais si prompts à nous dénier, à nous les voluptueux –- et alors que nous sommes l'avenir de l'Homme –- jusqu'à l'éventualité de l'existence ; toujours voulant sauver le monde mais sans jamais savoir pour quoi faire...
C'est de tout cela, entre autres choses, dont parle le Manifeste sensualiste, en corrigeant, en passant, la théorie-critique du Spectacle -– assez peu de choses, donc... –- ce que l'on pouvait facilement y lire ; ce sur quoi on pouvait facilement écrire.
Mais bien sûr, tout le monde le sait maintenant : "Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre."
La prochaine fois que ces gens voudront tenter de parler des sensualistes qu'ils essayent donc, pour ce faire, d'en choisir un parmi eux qui soit moins usé, moins défavorisé sur ces questions.
Cela dit, pour la polémique leur balourd avait un grand avantage sur nous : il était malheureux ; mais maintenant, il ne souffre plus : il est mort ; Mallarmé et les parfumeurs l'ont tué.

 

Fin de partie.

 

JEUNES GENS, JEUNES FILLES
Quelque aptitude au dépassement, au jeu
Et à l’amour abandonné.
Sans connaissances spéciales.
Si intelligents ou beaux,
Vous pouvez donner un sens à l’Histoire
AVEC LES SENSUALISTES.
Ne pas téléphoner ; ne pas se présenter.
Vivez, aimez, écrivez, créez.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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